L’ordonnance n° 2025-229 du 12 mars 2025 opère une réforme importante du régime des nullités en droit des sociétés. Cette réforme vise à renforcer la sécurité juridique en tentant de clarifier les règles, tout en encadrant les conditions dans lesquelles la nullité des sociétés et des décisions sociales peut être prononcée par le juge.
Le droit français des sociétés appréhende depuis longtemps avec une certaine prudence la sanction de la nullité et tend à en encadrer les conséquences. En effet, la société constitue une entité juridique singulière, autour de laquelle gravitent de nombreuses parties prenantes : actionnaires, dirigeants, salariés, ou encore prêteurs, clients et fournisseurs, susceptibles d’être directement ou indirectement affectés par la nullité de la société ou d’une décision sociale.
Dans ce contexte, la réforme mise en œuvre par l’ordonnance du 12 mars 20251 vise à clarifier le régime des nullités et à renforcer la sécurité juridique, en s’appuyant sur les conclusions d’un rapport du Haut Comité Juridique de la Place financière de Paris (HCJP) de 20202 et sur les recommandations du Conseil d’Etat du 4 juillet 20243. Elle vient par ailleurs aligner le droit français sur la Directive du 14 juin 20174.
L’ordonnance unifie le régime des nullités en droit des sociétés en supprimant les dispositions générales du Code de commerce, désormais intégrées au Code civil. Les articles 1844-10 et suivants du Code civil deviennent ainsi le droit commun, applicable à toutes les sociétés quelle que soit leur forme sociale. Par exception, des dispositions spécifiques à certaines formes sociales ou à des restructurations et opérations sur le capital sont maintenues au sein du Code de commerce.
La réforme vient également apporter une clarification terminologique en visant la nullité des « décisions sociales » et non plus des « actes et délibérations ». Ce détail a son importance car ne sont ainsi concernés que les actes décisionnels internes de la société, à l’exclusion des simples avis, opinions ou recommandations émis par des organes sociaux. Les conventions passées avec les tiers sont aussi clairement exclues du régime des nullités spécifique au droit des sociétés, leur nullité étant régie par le droit commun des contrats. Enfin, l’article L.228-59 du Code de commerce applique expressément le régime de nullité des décisions sociales aux décisions des assemblées générales d’obligataires.
S’agissant de la société elle-même, sa nullité ne peut désormais résulter « que de l’incapacité de tous les fondateurs ou de la violation des dispositions fixant un nombre minimal de deux associés » (article L.1844-10, al. 1, C. civ.). Cette nouvelle formulation vient supprimer de nombreux cas de nullité et aligner le droit français sur la directive du 14 juin 2017 et sur la jurisprudence de la Cour de cassation. La réforme va cependant au-delà en écartant de fait la sanction de la nullité en cas d’absence des éléments constitutifs de la société (article 1832, C. civ.), de violation des règles du droit commun des contrats, ou encore, en cas d’objet social statutaire illicite. Les cas de fraude ou de fictivité de la société ne sont pas non plus visés par l’article 1844-10 mais la nullité dans de tels cas pourrait être recherchée sur l’autres fondements.
S’agissant des apports faits à la société, le nouvel article 1844-10-1 du Code civil aligne les cas de nullité sur le nouveau régime applicable aux décisions sociales (cf. ci-après). La nullité de l’apport entraîne l’annulation des parts sociales ou des actions émises en contrepartie et la restitution, par la société, des engagements exécutés par l’apporteur. En cas de nullité de tous les apports, qu’ils soient souscrits au cours de la constitution ou postérieurement à celle-ci, la société est dissoute et il doit alors être procédé à sa liquidation.
S’agissant des décisions sociales, leur nullité ne peut désormais résulter que de « la violation d’une disposition impérative de droit des sociétés, à l’exception du dernier alinéa de l’article 1833, ou de l’une des causes de nullité des contrats en général ». Ainsi, alors qu’auparavant la nullité ne pouvait résulter que d’un texte la prévoyant expressément, le nouveau régime ouvre la nullité à la violation d’une disposition impérative de droit des sociétés (nullités « virtuelles »).
Cette évolution, qui résulterait de l’impossibilité de lister de façon exhaustive tous les cas de nullité, peut sembler contraire à l’objectif de clarification affiché par la réforme et remet dans les mains du juge le pouvoir d’apprécier le caractère impératif d’une disposition et son inclusion dans le champ du « droit des sociétés ». Le juge est donc mis au centre du dispositif. Cependant la réforme vise à encadrer son pouvoir via le mécanisme du « triple test » et à limiter les effets des nullités en limitant les nullités en cascade (voir ci-dessous).
A noter que la nullité des décisions sociales pour violation des statuts est désormais exclue, sauf disposition légale contraire. Cependant, dans les sociétés par actions simplifiées (SAS), les statuts peuvent prévoir la nullité des décisions sociales prises en violation des règles qu’ils établissent, conformément à l’article L. 227-20-1 du Code de commerce. L’action en nullité est alors régie par les articles 1844-10 et suivants du Code civil.
L’ordonnance introduit au nouvel article 1844-12-1 du Code civil le mécanisme du « triple test ». Ainsi, le juge ne peut prononcer effectivement la nullité d’une décision sociale irrégulière que si les trois critères suivants sont réunis :
Ce dispositif met fin à l’automaticité du prononcé de la nullité, permettant ainsi une appréciation plus équilibrée des situations litigieuses. Par exception, la nullité automatique est maintenue par l’ordonnance dans certains cas dans lesquels l’application de l’article 1844-12-1 est expressément écartée par les textes.
Pour éviter les effets perturbateurs des nullités en cascade et renforcer la stabilité des décisions sociales, la réforme insère aux nouveaux articles 1844-15-1 et 1844-15-2 du Code civil deux mécanismes :
Le délai de prescription de droit commun des nullités en matière sociétaire est réduit de trois à deux ans (article 1844-14, Code civil). Cette mesure vise à renforcer la sécurité juridique en incitant les parties à agir dans des délais plus courts.
S’agissant des nullités relatives aux augmentations de capital des sociétés par actions, l’ordonnance introduit aux articles L. 22-10-55-1 et L. 225-149-4 du Code de commerce un régime de prescription particulier :
Enfin, le nouvel article L. 225-149-5 du Code de commerce dispose que la nullité de la décision d’augmentation du capital est opposable à tous les souscripteurs, par dérogation à l’article 1844-16 du Code civil.
Concernant les opérations de restructuration des sociétés par actions, les dispositions afférent à leur régime de nullité sont relocalisées au sein des articles L.236-2-1 (s’agissant des fusions) et L.236-19-1 du Code de commerce (s’agissant des scissions).
La nullité d’une opération ne peut résulter que de la nullité de la délibération de l’une des assemblées l’ayant décidée ou du défaut de dépôt de la déclaration de conformité. L’action se prescrit par six mois à compter de la date de la dernière inscription au registre du commerce et des sociétés rendue nécessaire par l’opération, étant précisé que le tribunal peut accorder aux sociétés intéressées un délai de régularisation lorsqu’une telle régularisation est possible.
Enfin, la nullité n’affecte pas les obligations nées entre la date d’effet de l’opération annulée et la publication de la décision du tribunal prononçant la nullité. Les sociétés participantes restent alors responsables solidairement de l’exécution de ces obligations.
L’ordonnance du 12 mars 2025 entrera en vigueur le 1er octobre 2025, son application aux sociétés constituée et aux décisions sociales prises avant cette date devra être analysée au regard de l’acte dont la nullité est demandée et des fondements juridiques invoqués.