Alors que la saison des approbations de comptes bat son plein, la jurisprudence récente en matière de distribution de dividendes invite les associés à bien réfléchir au sort des bénéfices de l’exercice. Certaines décisions doivent être prises lors de l’assemblée générale annuelle, et non après !
Par un arrêt rendu le 12 février 2025,1 la Cour de cassation rappelle que seule l’assemblée générale annuelle appelée à approuver les comptes de l’exercice écoulé est compétente pour décider d’une distribution en dividendes de sommes prélevées sur le compte « report à nouveau ».
Cette décision, ayant les honneurs de la publication au Bulletin, vient apporter des précisions attendues après diverses positions prises par les juges du fonds ces dernières années.
Lors d’une assemblée générale en date du 30 avril 2017, les associés d’une société par actions simplifiée avaient approuvé les comptes du dernier exercice et affecté le bénéfice réalisé au compte « report à nouveau ». Lors d’une seconde assemblée générale tenue deux mois plus tard, ils avaient décidé de distribuer des dividendes par prélèvement sur ce report à nouveau. Après la cession de l’intégralité des actions de la société, les anciens associés ont engagé, contre celle-ci, une action en paiement du dividende.
Rappelons que la distribution de dividendes par les sociétés commerciales est régie par les articles L. 232-11 et L. 232-12 du Code de commerce. Ainsi :
A la lecture de ces textes, on pouvait se demander si les sommes affectées en compte « report à nouveau » par l’assemblée annuelle du 30 avril 2017 faisaient partie des « sommes distribuables » dont elle avait constaté l’existence, permettant à une assemblée ultérieure de les distribuer.
A cette question, la Cour répond que : « le report [à nouveau] bénéficiaire d’un exercice est inclus dans le bénéfice distribuable de l’exercice suivant et que, par voie de conséquence, seule l’assemblée approuvant les comptes de cet exercice pourra décider son affectation et, le cas échéant, sa distribution ».
La Cour ferme ainsi la porte à une distribution en cours d’année de dividendes prélevées sur le report à nouveau. En effet, il est traditionnellement considéré que l’assemblée n’a pas décidé de l’affectation des sommes sur ce compte et en a reporté la décision à l’année suivante. Par conséquent, elles ne font pas partie du résultat distribuable de l’exercice considéré. Elles viendront s’ajouter au bénéfice de l’exercice suivant, dont l’assemblée annuelle pourra alors décider la mise en distribution, la mise en réserve, ou le maintien en report à nouveau.
La Cour insiste sur le caractère impératif de ces dispositions, en soulignant que toute décision de distribution dudit report prise en dehors de l’assemblée appelée à approuver les comptes annuels est entachée d’un risque de nullité.
La distribution du report à nouveau hors AGOA (Assemblée Générale Ordinaire Annuelle) étant interdite, l’alternative repose donc sur le versement d’acomptes sur dividendes en cours d’exercice. Ce mécanisme est toutefois soumis à des conditions strictes posées par l’article L. 232-12, alinéa 2 :
Enfin, l’article R. 232-17 du Code de commerce dispose que le conseil d’administration, le directoire ou les gérants, selon le cas, ont qualité pour décider de répartir un acompte à valoir sur le dividende et pour fixer le montant et la date de la répartition.
La décision de la Cour de cassation s’inscrit dans une suite de jurisprudences de première instance et d’appel qui avaient semé le doute quant aux sommes pouvant être distribuées en cours d’année. En dernier lieu, une décision récente de la Cour d’appel de Paris laisse penser que contrairement au report à nouveau, les réserves pourraient bien faire l’objet d’une distribution hors AGOA.
Dans un jugement du 23 septembre 2022,2 le Tribunal de commerce de Paris avait mis un frein à la pratique répandue selon laquelle les dividendes prélevés sur les comptes de réserve pouvaient être distribués pendant l’année.
Adoptant une lecture stricte de l’article article L. 232-11 du Code de commerce, à contre-courant de la pratique et de la doctrine, le tribunal en avait conclu que seule l’assemblée générale annuelle appelée à approuver les comptes pouvait décider d’une telle distribution.
Cette approche conservatrice était justifiée par le fait que les textes susvisés visent à s’assurer que la distribution envisagée correspond aux capacités de la société et ne port pas atteinte à sa solidité financière.
Par un arrêt rendu en tout début d’année,3 la Cour d’appel de Paris est venue apporter une analyse différente du juge de première instance. En effet, contrairement aux montants mis en report à nouveau, l’affectation de sommes sur des comptes de réserve a nécessairement été approuvée par une précédente assemblée générale annuelle. Ces sommes correspondent à des bénéfices accumulés, devenus des actifs durables. Leur distribution serait donc possible en-dehors de l’AGOA.
En l’absence de décision de la Cour de cassation, la position de la Cour d’appel dans cet arrêt vient donc donner un peu de confort pour d’éventuelles distributions en cours d’année par prélèvement sur les réserves.
Dans tous les cas, de telles distributions en cours d’année doivent être effectuée en veillant scrupuleusement à ce qu’elles ne remettent pas en cause la solidité financière de la société. D’autant plus lorsqu’elles interviennent tard depuis les derniers comptes disponibles.